Un succès éditorial qui interroge
Alors que les fêtes de fin d'année battent leur plein, les rayons des librairies françaises témoignent d'un phénomène éditorial marquant : les ouvrages politiques de droite et d'extrême droite trustent les premières places des ventes. Nicolas Sarkozy, Jordan Bardella ou encore Philippe de Villiers affichent des chiffres impressionnants, suscitant des interrogations sur le positionnement idéologique du pays.
Des ventes record, mais pour quel lectorat ?
Le Journal d'un prisonnier de Nicolas Sarkozy a écoulé plus de 92 000 exemplaires en quelques semaines seulement, tandis que Ce que je cherche de Jordan Bardella a dépassé les 230 000 ventes. Philippe de Villiers, avec Populicide, affiche des chiffres similaires. Ces performances contrastent avec les difficultés rencontrées par les auteurs de gauche, à l'exception notable de Salomé Saqué, dont le livre à 5 euros séduit un public plus large.
Pourtant, ces succès commerciaux ne se traduisent pas nécessairement en influence politique. Comme le souligne Christian Le Bart, politologue, La vente de livres est un baromètre de l'opinion publique, mais elle ne prédit pas les votes.
Un exemple frappant : malgré le succès de La France pour la vie en 2016, Nicolas Sarkozy n'avait pas franchi le premier tour de la primaire de la droite.
Une stratégie éditoriale et médiatique bien huilée
Derrière ces chiffres se cache une machine médiatique redoutable. Les livres de droite bénéficient d'une couverture médiatique intense, avec des passages télévisés, des séances de dédicaces relayées sur les réseaux sociaux et des extraits publiés dans la presse. La mise en scène d'un succès appelle le succès
, explique une éditrice sous couvert d'anonymat.
La maison d'édition Fayard, propriété du milliardaire Vincent Bolloré, joue un rôle central dans cette dynamique. Bolloré, qui contrôle également des médias comme CNews et Europe 1, offre une plateforme idéale pour promouvoir ces ouvrages. Autour de Bolloré, on a quelque chose de l'ordre d'un matraquage médiatique
, analyse Christian Le Bart.
Un reflet de la droitisation de la société française ?
Certains y voient le signe d'une droitisation croissante de la société française. Ils se vendent parce que la France penche à droite
, affirme Muriel Beyer, ancienne éditrice de Sarkozy. Cette thèse est toutefois nuancée par d'autres observateurs, qui soulignent une crise de la gauche politique plutôt qu'un basculement idéologique massif.
Pour Alexandra Charroin Spangenberg, présidente du Syndicat de la librairie française, Les librairies sont une caisse de résonance des problèmes sociétaux, où la droitisation se traduit concrètement.
Pourtant, les chiffres restent relatifs : 230 000 ventes pour Bardella, c'est peu face à une population française de 68 millions d'habitants.
Des livres éphémères, mais utiles politiquement
Ces ouvrages sont souvent qualifiés de livres de consommation rapide, écrits dans l'urgence et destinés à disparaître aussi vite qu'ils sont apparus. Ils ne durent pas, se chassent les uns les autres
, note François Annycke, coprésident de la Fédération interrégionale du livre et de la lecture.
Pourtant, leur utilité politique est indéniable. Ils servent de test pour les responsables politiques, comme l'a montré l'exemple de Sarkozy en 2016. À l'approche de la présidentielle de 2027, ces publications pourraient se multiplier, même si l'histoire montre que les années électorales sont rarement bonnes pour les ventes.
Un phénomène à relativiser
Certains rappellent que ces succès éditoriaux ne doivent pas être surinterprétés. Deux cent mille personnes, rapportées à la population totale, c'est rien du tout
, tempère Muriel Beyer. D'autres, comme Jean-Luc Mélenchon, parviennent à vendre des ouvrages politiques sans atteindre ces chiffres.
Dans un contexte de crise des vocations politiques et de crise de la démocratie locale, ces livres pourraient n'être qu'un épiphénomène, reflétant davantage les stratégies de communication que les véritables attentes des citoyens.