Un discours majeur à Rungis, mais des retards inquiétants
Annie Genevard, ministre de l'Agriculture, a lancé lundi 8 décembre une série de conférences sur la souveraineté alimentaire depuis le marché de Rungis, le plus grand d'Europe. Son objectif affiché : « retrouver notre capacité à produire et à transformer pour une alimentation saine, durable et accessible à tous ». Pourtant, derrière ces belles paroles, le gouvernement peine à concrétiser ses engagements.
Le PNNS, une boussole ignorée ?
Depuis 2001, la France s'appuie sur le Programme national nutrition santé (PNNS), mis à jour régulièrement, pour définir une alimentation saine. Ses recommandations sont claires : augmenter les légumes secs, fruits et légumes, privilégier les féculents complets, limiter les viandes (500 g/semaine), les charcuteries (150 g/semaine) et les produits ultratransformés.
Mais ces directives, fruit d'un consensus scientifique, sont-elles vraiment appliquées ? La Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat, censée guider l'action gouvernementale jusqu'en 2030, accuse plus de deux ans de retard. Pire, fin novembre, Matignon a suspendu sa publication à la dernière minute, après des mois de controverses.
La science, une gêne pour le ministère de l'Agriculture ?
Le gouvernement a retiré la mention de « limiter les produits ultratransformés » du texte, malgré les recommandations de l'Anses. Une décision critiquée par Charlie Brocard, de l'Iddri : «
Les résultats scientifiques ne peuvent pas créer une politique publique seuls, mais ils doivent en être au centre.»
Pourtant, l'étude EAT-Lancet, publiée en octobre, propose un régime « pour la santé planétaire » : 300 g de légumes, 200 g de fruits, 75 g de légumineuses, 15 g de viande rouge et 30 g de volaille par jour. Un modèle loin des habitudes françaises : en moyenne, un Français consomme 242 g de viande et 79 g de sucre quotidiennement.
Une crise sanitaire ignorée
En 2019, Santé publique France alertait : 89,7 % des adultes ne consomment pas assez de fibres, 63 % mangent trop de charcuterie, et 90 % dépassent les limites de sel. Parallèlement, 16 % de la population déclare ne pas manger à sa faim, tandis que l'obésité et le diabète progressent.
Hélène Quéau, d'Action contre la faim, dénonce : «
Il y a un décalage très fort entre le régime alimentaire adéquat et la réalité.» Elle réclame un « cap ambitieux » pour « changer l'environnement alimentaire » et le rendre « sain, durable et accessible ».
Des groupes de travail sans les associations
Lundi, Annie Genevard a annoncé le lancement de sept groupes de travail par filière, pour proposer des « premières ambitions » lors du Salon de l'agriculture en mars. Mais ces discussions se feront sans les associations de consommateurs et de protection de l'environnement, une exclusion qui interroge sur la transparence du processus.
Alors que le gouvernement promet un « grand réveil alimentaire », les retards et les reculs politiques laissent planer le doute. Entre les promesses de Macron et les réalités du terrain, le fossé semble se creuser.