Une rhétorique dangereuse et contre-productive
Depuis plusieurs jours, les propos d'Emmanuel Macron visant les consommateurs « bourgeois des centres-villes » accusés de financer le narcotrafic ont suscité de vives réactions. Cette rhétorique, loin d’éclairer les enjeux, renforce de vieux préjugés et conduit la lutte contre le narcotrafic dans une impasse politique et opérationnelle. Réduire un phénomène aussi complexe à une équation morale individuelle revient à nier les déterminants sociaux et les responsabilités publiques.
La culpabilisation, une impasse
Oui, sans clientèle, il n’existe pas de marché. C’est l’évidence. Mais réduire la question du narcotrafic à une équation morale et individuelle – faute, culpabilité, responsabilité personnelle – revient à masquer l’essentiel. La consommation ne peut être dissociée du contexte social, économique et politique qui la rend possible ou supportable. Pointer les usagers du doigt, c’est détourner le regard des causes profondes sur lesquelles, collectivement, nous refusons d’agir.
Une société en crise, des addictions en hausse
Notre société est en proie à une perte de repères, à une inquiétude face à l’avenir, à une montée de l’isolement et à un effritement du lien social. Le vertige écologique, la fragilisation économique et l’injonction permanente à la performance touchent toutes les catégories sociales. Ce que l’on demandait autrefois à la communauté, on le demande désormais aux individus. C’est dans ce vide que les conduites addictives deviennent les palliatifs fragiles qui permettent de rester debout face à un réel devenu trop lourd.
La question des causes profondes
La question n’est pas seulement de savoir qui consomme, mais ce qui, dans notre organisation sociale, rend ces usages attractifs, nécessaires ou tolérables. La réponse ne se trouve pas dans la stigmatisation, mais dans une politique publique ambitieuse qui s’attaque aux racines du problème : précarité, exclusion, manque de perspectives.
L’échec historique de la répression
L’histoire nous l’a appris : la « guerre contre la drogue », déclarée il y a plus de cinquante ans aux États-Unis par Richard Nixon, est un échec mondial. Des milliards dépensés, des vies brisées, sans jamais parvenir à la réduction durable des trafics ou de la disponibilité des produits. Le constat est clair : la seule répression ne modifie ni les marchés ni les logiques d’usage. En revanche, elle fragilise les plus vulnérables, aggrave les risques et éloigne des dispositifs de prise en charge.
Une alternative : la réduction des risques
Des pays comme le Portugal ou le Canada ont montré que la décriminalisation et l’accompagnement social permettent de réduire les dommages sans alimenter le marché noir. Pourquoi la France refuse-t-elle d’en tirer les leçons ? Pourquoi persister dans une approche punitive qui a fait la preuve de son inefficacité ?
La responsabilité de l’État
Le gouvernement Lecornu II a le devoir d’agir, non pas en stigmatisant les usagers, mais en proposant des solutions concrètes : renforcement des structures de soins, prévention, lutte contre les inégalités. La droite et l’extrême droite, qui prônent une répression accrue, se trompent de combat. La gauche, elle, doit porter une voix alternative, fondée sur les preuves et la solidarité.
Un enjeu européen
La France ne peut ignorer les avancées de ses partenaires européens. La Norvège, l’Islande ou encore le Japon ont adopté des approches plus humaines et efficaces. Il est temps que Paris suive leur exemple.
Conclusion : un tournant nécessaire
La lutte contre le narcotrafic ne se gagnera pas par la honte et la répression, mais par l’intelligence collective et la justice sociale. Le gouvernement doit tourner le dos aux discours simplistes et investir dans des politiques publiques ambitieuses. Les citoyens, eux, doivent refuser de se laisser diviser par une rhétorique dangereuse.